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Articles > À la découverte de la langue turque

par Alexis Ulrich  LinkedIn

Véritable pont entre l’Orient et l’Occident, la Turquie est riche d’une culture au carrefour de nombreuses civilisations. La beauté de sa langue, qui semble à la fois proche par son alphabet, et déjà lointaine par ses sonorités et son vocabulaire, invite au voyage et à la découverte.

L’alphabet

L’alphabet turc et sa prononciation sont très proches au français, même si quelques lettres se prononcent différemment, comme le c qui se prononce /dj/, le ğ (g bref, ou g doux) qui se prononce un peu comme /w/ sans bouger les lèvres et allonge la voyelle précédente, le ı (i sans point), à mi-chemin entre le /i/ et le /u/, et le ş (s cédille) qui se prononce /ch/.

Coucher de soleil sur Istanbul
© Ante Samarzija, Unsplash

Une langue agglutinante

Comme toutes les langues altaïques, le turc est une langue agglutinante, c’est-à-dire qu’elle ajoute des suffixes pour exprimer des traits grammaticaux. À partir de ev (maison), on forme evler (les maisons), evlerim (mes maisons), evlerimde (dans mes maisons), et par exemple evlerimdekiler (ceux qui sont dans mes maisons).

Et pour que les mots coulent naturellement, pour qu’ils soient facilement prononçables, des règles d’harmonie vocalique se sont développées, comme nous allons le voir maintenant.

Bosphore
© ThePowerCouple, Unsplash

L’harmonie vocalique simple

Les voyelles turques sont groupées en voyelles dures ou postérieures (a, ı, o, u) et voyelles douces ou antérieures (e, i, ö, ü). L’harmonie simple indique la voyelle du suffixe utilisé pour le pluriel, l’infinitif et les cas en fonction de la dernière voyelle du mot.

Bazar à Istanbul
© Filiz Elaerts, Unsplash

Le pluriel

La formation du pluriel suit la règle de l’harmonie vocalique simple. On a par exemple çocuk / çocuklar (un enfant / les enfants) et kedi / kediler (chat / les chats). Il est à noter qu’un nom pluriel est compris comme défini (kediler, les chats), alors qu’un nombre indéfini est toujours au singulier (kedi, un chat / des chats).

De plus, lorsqu’on compte des choses en turc, on ne met pas le mot au pluriel : iki limon (deux citrons), üç çilek (trois fraises). Je vous renvoie sur la page des nombres turcs pour apprendre à compter.

Mezzé à Antalaya
© Igor Sporynin, Unsplash

L’harmonie vocalique complexe

L’harmonie complexe groupe les voyelles en quatre sous-groupes : les claires non-arrondies ou étirées (e, i), les sombres non-arrondies (a, ı), les claires arrondies (ö, ü), et les sombres arrondies (o, u).

Sans entrer dans les détails, elle est utilisée par exemple dans les particules interrogatives : Çocuk mu? (Est-ce un enfant ?), Çocuklar mı? (Sont-ils des enfants ?).

Journal turc
© Lina Stepanova, Unsplash

Une langue casuelle à six cas

Le turc se décline suivant six cas : le nominatif, l’accusatif (l’objet de l’action), le génitif (la possession), le datif (pour qui l’action est effectuée), l’ablatif (l’origine de l’action) et le locatif (le lieu de l’action). Accusatif et génitif suivent les règles de l’harmonie complexe ; datif, ablatif et locatif, celles de l’harmonie simple.

œil de Fatima
© Tom Podmore, Unsplash

Pas de genre grammatical

Enfin un peu de simplification : le turc n’a pas de genre grammatical. Le pronom o signifie à la fois il / elle / on. Après les deux harmonies vocaliques et les déclinaisons, cela fait du bien. D’ailleurs, l’usage des pronoms personnels sujets est facultatif, puisqu’inclus dans les conjugaisons.

Montgolfières dans le Cappadoce
© John Cameron, Unsplash

La conjugaison

Et puisqu’on en parle, la conjugaison se fait sous forme de suffixes. Le verbe être va encore plus loin puisqu’au présent, il se suffixe directement au mot concerné : öğrenciyiz (nous sommes étudiants) est formé sur öğrenci (étudiant) et yiz ((nous) sommes).

Tramway à Istiklal
© Nihal Demirci Erenay, Unsplash

L’ordre des mots

Le turc est une langue à structure Sujet-Objet-Verbe, soit l’ordre le plus commun qu’on retrouve dans environ 45% des langues (l’ordre Sujet-Verbe-Objet du français ne se retrouve que dans environ 42% des langues).

Ma mère regarde la télévision se dit Annem televizyon seyrediyor, soit littéralement Ma mère la télévision regarde.

Street art à Istanbul
© Sina HN Yazdi, Unsplash

Les emprunts lexicaux

Au début des années 30, Atatürk, le premier président de la Turquie, lance une réforme visant à remplacer l’alphabet arabe de l’empire Ottoman par un alphabet latin adapté, ce qu’on appelle la Révolution des signes (Harf Devrimi). Dans la foulée, il fait réformer le vocabulaire pour en retirer les emprunts à l’arabe et au persan. L’analphabétisme en est considérablement réduit, et de nombreux mots européens entrent dans la langue.

On y trouve des mots venant du français, représentant environ 5% du vocabulaire, comme kuaför (coiffeur), filozof (philosophe), formül (formule), enerji (énergie), aküponktür (acupuncture), tuvalet (toilette), lojman (logement), konfor (confort), qui donne konforlu (confortable) et konforsuz (inconfortable), dekolte (décolleté), manto (manteau de femme), mobilet (mobylette), otostop (auto-stop), otostopçu (autostoppeur), kapris (caprice)…

Dans l’autre sens, beaucoup de mots turcs sont aussi passés en français : babouche (de papuç, chaussure), boulgour (de bulgur), café (de kahve), chagrin (de sağrı, « peau préparée à partir de la croupe d’un animal », et l’on comprend alors l’origine de l’expression peau de chagrin, dont le sens actuel vient du roman éponyme de Balzac), chich-kebab (de şişkebap), gilet (yelek), pacha (paşa)…

Bien sûr, il reste encore en turc de très nombreux mots venant de l’arabe, on en compterait 6%. Citons par exemple, kitap (livre, de كِتَاب, kitāb), gazel (gazelle, de غَزَل, ḡazal), sabun (savon, de صَابُون, ṣābūn), ou encore sıfır (zéro, vide, de صِفْر, ṣifr, qui a donné chiffre en français)…

Statue d’Atatürk à Ankara
© ONUR KURT, Unsplash

Pour résumer (et aller plus loin)

Comme on l’a vu rapidement, la langue turque suit un ordre SOV, elle possède une harmonie vocalique, elles est agglutinative au moyen de sufixes, et n’a pas de genre grammatical. Toutes ces caractéristiques sont partagées par la famille des langues turciques qui regroupe une trentaine de langues couvrant une immense zone allant de l’Europe de l’Est à l’ouest de la Chine et de Chypre à la Sibérie.

Le turc moderne compte environ 80 millions de locuteurs, on trouve ensuite l’azéri avec 35 millions de locuteurs, l’ouzbek (25 millions), le kazakh (16 millions), l’ouïghour (15 millions), le tatar (8 millions), dont 500 000 locuteurs pour le tatar de Crimée, le turkmène (7 millions), le kirghize (4 millions), le bachkir (2 millions), le tchouvache (2 millions), le yakoute (500 000)…

Au total, les langues turciques comptent de 200 à 250 millions de locuteurs, certaines s’écrivant en alphabet latin, et d’autres en cyrillique, mais toutes avec un vocabulaire relativement proche. Apprendre le turc permet de toucher du doigt une immensité culturelle et géographique qui va bien au-delà de la Turquie, véritable pont entre l’Orient et l’Occident.