Articles > Initiation au turc avec la série Hot Skull
par Alexis Ulrich
Pour apporter un aspect authentiquement étranger aux séries télévisées de science-fiction actuelles, les producteurs engagent des linguistes qui créent des langues construites avec leurs sonorités propres, et parfois même leur système d’écriture, en plus de leur grammaire et de leur vocabulaire. La série turque Hot Skull produite et diffusée par Netflix en décembre 2022, n’a pas eu recours à ces méthodes.
Cette dystopie qui se déroule dans un futur qu’on imagine proche se passe à Istanbul, en Turquie. Les posters affichés sur les murs, les graffitis et les slogans sur les banderoles des manifestants sont écrits en langue turque. Pour les turcophones, le monde décrit est donc très crédible et contemporain, puisqu’il utilise leur propre langue. Pour les non-turcophones en revanche, les messages demeurent étrangers, utilisant des lettres qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, comme le s cédille ş ou le g doux ğ, ce qui les immerge dans un univers décalé et mystérieux.
Je vous propose ici de plonger dans cet univers pour découvrir quelques aspects de la langue turque.
Sıcak Kafa
La série s’intitule en turc

On pense d’emblée à une transposition de l’épidémie du Covid-19, même si la série est adaptée du roman éponyme Sıcak Kafa de l’auteur turc Afşin Kum publié en 2016, pas encore traduit en français.
En turc, les adjectifs se placent devant le nom auquel ils se rapportent. L’adjectif
Salgınla Mücadele Kurumu

La structure militaire qui a pris le contrôle du pays s’appelle
Yapamadım

On retrouve le mot
La racine de ce mot-phrase est le verbe
On trouve ensuite le suffixe de négation ma, dépendant lui aussi de l’harmonie vocalique, puis le suffixe de temps di/dı, qui en dépend aussi. Il s’agit là du passé constaté, utilisé pour rapporter les événements historiques attestés, ou les événements passés de notre vie. C’est aussi un passé perfectif : l’action a eu lieu, elle est terminée.
En l’occurrence, le verbe est congugé à la première personne du singulier,
Au final,
Önce kulaklıni

Il s’agit de l’injonction première, le seul geste barrière efficace contre le virus de l’ARDS, celui de porter un casque pour ne pas entendre les éventuels babilleurs que l’on peut croiser, et risquer de se faire contaminer.
Karşindakinin “hasta” olduğunu düşünuyorsan hemen kulakliğini tak!
Le premier mot de cette phrase est
La structure grammaticale de cette phrase est complexe. En effet, ce qu’on exprime en français au moyen de subordonnées est souvent rendu en turc par des phrases nominalisées, avec un sujet au génitif et un suffixe possessif, caractérisées par une marque de cas.
Ici, on a la subordonnée qui se décompose ainsi : [Karşindakin-in ol-duğ-un]-ü, soit [Karşindakin-Génitif être-Nominatif-3Sg]-Accusatif. On peut la traduire par que vous êtes en face d’une personne « malade », le mot suivant étant
Le verbe de la proposition principale est
Les autres mots sont
En mettant bout-à-bout toutes ces remarques grammaticales, on obtient la phrase suivante :
[la-personne-en-face « malade » que-vous-êtes si-vous-pensez sans-délai écouteurs-vos-Accusatif mettez !], soit au final Si vous pensez que vous êtes en face d’une personne « malade », mettez immédiatement vos écouteurs !
Kocaeli yi unut ma!

Dans cette phrase, le verbe est
En guise de conclusion
L’exercice de traduction de toutes ces phrases qui apparaissent dans le décor de cette série est très enrichissant, puisqu’il nous plonge d’emblée dans la complexité de la langue turque. Le turc étant une langue agglutinante riche en suffixes, elle exprime de nombreuses nuances avec quelques syllabes, là où le français jouerait de périphrases et de temps composés.