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Articles > Pourquoi le japonais est une langue très intéressante à apprendre

par Alexis Ulrich  LinkedIn
Le concept de ohanami (花見), ou contemplation des fleurs de cerisier est difficilement traduisible.

Cet été, j’ai voulu passer des vacances un peu différentes, vivre une expérience loin de mon quotidien. J’ai fini par suivre un cours intensif de japonais de 30 heures dans une université près de chez moi (l’Inalco, pour ne pas la nommer), sentant mon cerveau en surchauffe quelques heures chaque jour.

Je vais partager avec vous quelques aspects intéressants de la langue japonaise du point de vue d’un geek des langues.

Le japonais utilise deux syllabaires et un énorme ensemble de logogrammes à l’écrit.

Bien que cela paraisse un peu intimidant au départ, il est possible de commencer à l’apprendre avec une transcription en alphabet latin appelée rōmaji (pour caractères romains). Les syllabaires peuvent s’apprendre de leur côté, l’hiragana en premier (de la même façon que les enfants japonais), puis le katakana, bien utile pour déchiffrer les mots d’origine étrangère comme depāto (de l’anglais department store, ou grand magasin). Les kanjis étaient à peine présentés à ce niveau, leur difficulté d’apprentissage est encore théorique pour moi.

Les caractères chinois, ou kanjis.

Les écoliers du primaire doivent en apprendre un millier (les kyōiku kanjis officiels). Les jōyō kanjis, les kanjis d’usage courant, en comptent déjà deux mille de plus et sont d’habitude maîtrisés durant le secondaire. Enfin viennent les hyōgai kanjis, qui ne sont pas inclus dans les listes précédentes, au nombre d’environ six mille. Ils sont aussi utilisés pour les tests d’aptitude aux kanjis.

Ces nombres sont à tout le moins intimidants, surtout quand on pense que la connaissance de chaque kanji implique de savoir comment le tracer, ses différents sens, ainsi que les différentes prononciations qu’il peut avoir.

Les kanjis ont habituellement deux lectures : la lecture sino-japonaise (on’yomi) et la japonaise (kun’yomi). Elles dépendent de l’époque où le kanji en question est entré dans la langue japonaise, et c’est la combinaison du sens et du contexte qui permet de savoir quelle prononciation utiliser.

Il n’y a pas d’espace.

À l’écrit, les phrase mélangent allègrement hiragana, katakana et kanjis. Cependant, vous ne trouverez aucun espace qui découpe la phrase en mots. Vous devez connaître vos particules pour savoir quand se termine un mot et quand commence un autre. Au moins, le verbe est-il toujours en dernière position.

Il y a des particules pour à peu près tout.

Une particule pour définir le sujet de la phrase (wa), une autre pour déterminer un nom (no), une pour exprimer le lieu de l’action (de), une pour la destination (ni). Et la plupart peuvent s’utiliser dans différentes situations.

Cela peut paraître un peu compliqué présenté ainsi, mais elles sont introduites une par une, et un sens grammatical à la fois.

Ces particules structurent la phrase : elles y mettent un peu d’ordre. Bien sûr, il y en a un certain nombre, mais elles suivent toujours le mot qu’elles modifient et qui plus est s’écrivent en hiragana, ce qui aide avec le problème d’espace évoqué plus haut.

Le vocabulaire est complètement étranger.

En tant que francophone de langue maternelle et locuteur anglais, espagnol et portugais, je ne peux pas me baser sur ces langues pour apprendre le vocabulaire. Pour être honnête, la plupart des mots japonais semble appartenir à une langue a priori pour mes oreilles étrangères, juxtaposant de manière aléatoire les syllabes possibles.

Des mots comme niwatori, nezumi, sakana ou kabutomushi peuvent effectivement donner cette impression (respectivement poulet, souris, poisson et scarabée). Il faut juste laisser couler les syllabes, leur écriture rōmaji n’aidant en rien à leur compréhension.

Le contexte est roi, et la concision reine.

Chaque mot qui peut être déduit du contexte, comme qui parle ou le sujet de la phrase précédente, peut (et doit) être supprimé.

Quel soulagement ! Vous pouvez d’ores et déjà oublier les pronoms ou faire une phrase complète en un seul mot.

Si vous regardez des films japonais sous-titrés, la plupart du temps quand une personne dit oui (hai) ou non (iie), la traduction est bien plus longue, avec le mode conditionnel et tout le toutim. Un cauchemar pour les doubleurs.

Les niveaux de politesse laissent imaginer un grand jeu de subtilité (dans ce futur proche où vous maîtriserez la langue, bien sûr).

Un simple merci peut déjà prendre trois formes suivant le niveau de politesse que vous voulez exprimer : arigatō, arigatō gozaimasu et dōmo arigatō gozaimasu, du plus impoli au plus raffiné. Et vous apprenez cela dès le premier cours, ce qui veut dire que de nombreux voiles peuvent encore flotter devant vos yeux.

Notez cependant que nous n’avons appris que la forme polie du japonais durant ce cours d’introduction, le japonais informel demeure encore un complet mystère pour moi.

Les adjectifs se conjuguent (enfin, pas tous).

Il existe deux classes d’adjectifs en japonais : les adjectifs en -na ou noms adjectivaux, et les adjectifs en -i, ou verbes adjectivaux. Tandis que les adjectifs en -na restent invariables (shizuka desu/deshita, pour je suis/j’étais calme), les adjectifs en -i se conjuguent en lieu et place de l’auxiliaire (urusai/urusakatta desu, pour c’est/c’était bruyant). N’est-ce pas formidable ?

Il y a toujours un autre niveau de difficulté.

Comme vous vous en êtes peut-être déjà aperçu avec les points précédents, chaque fois que vous semblez maîtriser un point grammatical, vous apprenez que c’est en fait un tout petit peu plus compliqué qu’il n’y paraissait de prime abord.

Prenons l’exemple des nombres japonais. Le système numérique est complètement décimal, avec à peine quelques problèmes de prononciation.

Mais les chiffres sont groupés par quatre et non par trois. Il y a donc un mot spécifique pour dix mille qui s’utilise exactement comme mille (comme dans la plupart des langues asiatiques, cela dit).

10 000 se dit ichiman (une fois dix mille) et 20 000 niman (deux fois dix mille).

Assez simple finalement, jusqu’à ce que vous atteigniez les nombres composés comme 74 001, ou sept fois dix mille plus quatre mille plus un (ou nanaman yonsen ichi).

Une fois maîtrisée cette compétence de coupage de nombres en quatre, particulièrement avec les prix écrits comme en anglais, c’est-à-dire groupés par trois chiffres séparés par des virgules, vous apprenez incidemment que ces nombres ne servent à rien dans la vie de tous les jours. En effet, les japonais utilisent des compteurs numériques selon le type ou la forme des objets qu’ils comptent, et ceux-ci sont basé sur les chiffres japonais historiques, avec de nombreuses exceptions de prononciation.

Par exemple, si vous comptez huit personnes, huit étages ou huit objets génériques, vous utiliserez des mots différents, à savoir : hachinin, hakkai et yattsu.


On ne se lasse pas d’admirer les fleurs de cerisier

Les points faciles du japonais

Bien que le japonais puisse paraître un peu difficile à apprendre pour un locuteur de langue romane, voire même d’une langue indo-européenne pour élargir le point de vue, il présente quelques caractéristiques qui le rendent relativement facile à apprendre.

La conjugaison est extrêmement simple (à première vue).

Quatre temps seulement (non passé et passé, ou plutôt imparfait et parfait, ainsi qu’une forme affirmative et une forme négative pour chacun d’eux), et la forme des verbes ne change pas avec le sujet (oui, c’est encore plus simple que l’anglais).

Puis viennent la forme potentielle, le passif, le causal, le conditionnel et l’impératif…

Mais à première vue, c’est très simple.

Beaucoup de mots étrangers peuvent se déduire de leur prononciation (ou de leur écriture, puisqu’ils sont habituellement écrits en katakana).

Beaucoup de mots anglais ont été empruntés et adaptés, comme télévision (television, terebi, テレビ), football (soccer, un faux ami dans ce cas, sakka, サッカ), bière (beer, bīru, ビール) et vin (wine, wain, ワイン). D’autres mots proviennent de l’allemand, empruntés durant l’ère Meiji, comme petit boulot (Arbeit, arubaito, アルバイト) et énergie (Energie, enerugī, エネルギー), mais aussi du français, comme mode (mōdo, モード) ou vacances (bakansu, バカンス).

C’est une bonne façon de mémoriser du vocabulaire.

Il n’y a pas de nombre grammatical (singulier/pluriel), ni de genre (masculin/féminin), ni même d’article.

C’est un tel soulagement pour moi. Je ne me rappelle que trop bien les cours d’allemand au lycée : je devais apprendre pour chaque mot son genre (masculin, féminin ou neutre) et son pluriel. En japonais, la même forme s’utilise dans tous les cas. C’est le contexte qui permet de s’en sortir.

La prononciation est assez simple.

Au moins pour un francophone, puisque les voyelles sont proches des françaises. Il n’y a pas de véritable son r, plutot un son à mi-chemin du l et du r, c’est la seule difficulté.

Je vous ai convaincu ?

Si vous avez lu cet article jusqu’ici, c’est que vous l’êtes.

Le japonais n’est pas une langue facile à apprendre. Elle présente de nombreux défis, et de nombreuses années de travail pour la maîtriser. Mais comme toute langue, elle vous donne accès à une très riche culture. Alors n’utilisez pas cette difficulté comme une vaine excuse, et offrez-lui sa chance.

Le japonais la mérite.