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Articles > Inuktitut : Des centaines de mots pour la neige

par Alexis Ulrich  LinkedIn qanik - ᖃᓂᒃ

Il existe une croyance selon laquelle les Esquimaux auraient à leur disposition plusieurs centaines de mots pour parler de la neige. Répéter cette idée encore et encore ne la transforme pas en vérité. Qu’en est-il vraiment ?

Le mot Esquimaux

Tout d’abord, ce mot Esquimaux n’est pas très informatif, il s’agit d’un mot fourre-tout qui englobe de nombreux peuples de l’Arctique, incluant les Inuits, les indiens Yupik et Iñupiat pour ne citer qu’eux. De plus, une étymologie populaire relie ce mot à la langue Montagnaise où il signifierait « mangeur de viande crue », ce qui est pour le moins péjoratif. En fait, ce mot Montagnais ferait plutôt référence à la façon de lacer une chaussure de neige selon des linguistes actuels.

Nous allons nous concentrer ici sur la langue inuktitut, et plus précisément sur l’inuktitut de l’est canadien (ᐃᓄᒃᑎᑐᑦ). Il est parlé dans toutes les zones au nord de la limite de la forêt de l’Arctique, ce qui inclue une partie des provinces de Terre-Neuve et du Labrador, du Québec (au Nunavit), du nord-est du Manitoba, ainsi que du territoire du Nunavut.

Quelques mots pour la neige

Pins couverts de neige

Dans son livre Dictionnaire français-esquimau du parler de l’Ungava (Presses de l’Université Laval, 1970, [Amazon.com]), le linguiste et missionnaire Lucien Schneider liste de nombreux mots relatifs à la neige.

Parmi ceux-ci, nous trouvons :

  • aniu (ᐊᓂᐅ) : la neige utilisée pour en tirer de l’eau
  • aputi (ᐊᐳᑎ) : la neige sur le sol
  • aqilluqaaq (ᐊᕿᓪᓗᖄᖅ) : un tas, un banc ou une accumulation de neige légère après une chute ou une bourrasque de neige, ou un mélange d’eau et de neige en cours de fonte
  • nilak (ᓂᓚᒃ) : la glace d’eau douce, pour la boisson
  • pukak (ᐳᑲᒃ) : la neige cristalline sur le sol
  • qanik (ᖃᓂᒃ) : la neige qui tombe
  • qinu (ᕿᓄ) : la glace fondante sur l’eau
  • siku (ᓯᑯ) : la glace en général

La nature agglutinante de l’inuktitut

Lion des neiges

L’inuktitut est une langue agglutinante : de nouveaux mots peuvent être créés en ajoutant des préfixes et des suffixes à une base radicale. Par exemple, qanittaq (ᖃᓂᑦᑕᖅ) signifie « neige fraîchement tombée » quand son radical qanik (ᖃᓂᒃ) veut dire « neige en train de tomber ».
De la même façon, à partir du mot siku (ᓯᑯ, pour la glace en général), on peut créer sikuaq (ᓯᑯᐊᖅ, pour « petite glace »), qui fait référence à la première couche de glace fine qui se forme à la surface des flaques en automne, ou sikuliaq (ᓯᑯᓕᐊᖅ, pour « glace faite »), la glace nouvelle se formant sur la mer ou les rochers. À partir du mot aniu (ᐊᓂᐅ, la neige dont on tire de l’eau), nous obtenons aniugaviniq (ᐊᓂᐅᒐᕕᓂᖅ), une neige gelée, compressée et très dure.

D’une certaine façon, on peut considérer chacune de ces formes comme un mot à part entière pour les ajouter à ce décompte des mots pour la neige, alors qu’en français on utiliserait une périphrase pour exprimer la même idée. Est-ce que cela veut dire que les peuples Inuits peuvent mieux faire la distinction entre plusieurs types de neige et de glace que nous grâce à leur langue ?

De la langue à la vision du monde

L’hypothèse Sapir–Whorf, d’après le nom de ses inventeurs supposés Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, mais nommée ainsi par Harry Hoijer, l’un des étudiants de Sapir, pose la question. Alors que la relativité linguistique établit que la structure d’une langue affecte la façon dont ses locuteurs conceptualisent le monde, il est dorénavant admis que si la langue influence la pensée, cela se fait de façon bien plus limitée.

Alors au bout du compte, combien de mots existe-t-il pour la neige en inuktitut ? Il s’agit bien là d’une question purement réthorique, sans réponse réelle. Est-ce que cela a encore un sens ?

Lien

Le syllabaire autochtone canadien utilisé dans cet article a été translittéré à partir de l’alphabet latin via cet outil de translittération inuktitut.

Crédits photo : Alexis Ulrich